vendredi 4 avril 2008

Qui êtes-vous Philippe Enrique ?

Mes premiers souvenirs de la vie publique remontent à la Seconde Guerre mondiale, à l'occupation, lorsque les hommes sont retenus en Allemagne, prisonniers et que les femmes sont inquiètes ; l'argent ne circule pas, l'occupant s'est approprié l'essentiel des ressources vives du pays, la pénurie s'installe, durablement, elle perdurera même au-delà du conflit cependant que la vie n'en continue pas moins, les rues de Paris sont calmes, faute de carburant pas ou peu de circulation, le matin de bonne heure alors que les chevaux tirent la voiture du lait, seul le bruit de leurs fers résonne sur la chaussée.
Mon grand père m'emmène promener rue de Rome, à Batignolles, nous regardons passer les trains, j'observe que les passants y ramassent parfois les mégots...
La Libération, enfin, d'aucuns pavoisent, après avoir failli ne plus jamais l'être, on est fier d'être français ; l'école, le lycée, quelques fois je m'accoude à la fenêtre et observe ce voisin, cet homme dans la force de l'âge, cet employé d'administration qui vit avec sa vieille mère ; en soirée, l'été, il s'assoit souvent, le dos tourné au jour déclinant et peut ainsi lire son journal, en retardant d'autant l'heure ou il devra allumer l'électricité ; la nuit, parfois, je me réveille en sueur, assailli par le même cauchemar, parviendrai-je lors de la vie d'homme qui m'attend, à ne pas être de ceux qui par leur insignifiance, n'existe que si peu ?
En cette immédiate après-guerre les temps sont durs, cependant que je n'en entretiens pas moins une passion dévorante : lire ; les dictionnaires mais aussi Jules Verne et son indéféctible conviction quant aux bienfaits de la science et de ses retombées, puis bien sûr Victor Hugo et Balzac, Emile Zola et Stendhal, sans oublier la bande dessinée puis l'ineffable et burlesque commissaire San Antonio, la plus forte production littéraire francophone des années cinquante et soixante, en tout cas certainement la plus drôle.
Retraité me voici disponible pour enfin comprendre le fait publique, en l'occurence la Quatrième République et les guerres d'outre-mer, qui d'ailleurs lui seront fatales, événements dont à l'époque et faute de la maturité nécessaire, je ne saisis pas les mobiles, et pas davantage ne décode l'actualité, perpétuellement dissimulée sous un écran de fumée artificielle, laquelle ne se dissipe qu'avec le temps, en l'occurence un demi-siècle.
Mais quelle satisfaction et quel accomplissement que de pouvoir accéder, enfin, à ce qui était si longtemps resté hors de ma portée.

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